De quoi le follower est-il le nom ?


Suivre ou ne pas suivre @nadine__morano ?

Tout a commencé en octobre lorsqu’à l’issue d’une animation où j’ai présenté mon compte Twitter, un des auditeurs est venu vers moi et m’a dit, sur un ton entendu, qu’il avait bien remarqué que j’étais abonnée (avec mon compte Twitter @drmlj) à @FHollande. Je suis restée bête de surprise tant pour moi il n’y avait pas collusion entre mes abonnements et mes choix politiques. Suivre le compte d’une personne politique, est-ce indiquer que l’on est d’accord avec ses idées ? Suivre quelqu’un, en général, qu’est-ce que cela veut dire ?

Cette question est particulièrement intéressante en ce qu’elle interroge les nouvelles formes de sociabilité créées par les usages sur les réseaux sociaux. C’est une question qui n’est pas nouvelle, et récurrente avec les « amis » que l’on a sur Facebook, où avoir plus d’une centaine d’amis commence à avoir un certain sens (quand on pense que Montaigne avec un ami, unus, primus,  the ami !), à amener certaines questions sur les « intentions » du locuteur qu’est la personne qui a un profil Facebook. Avoir mille amis sur Facebook, c’est montrer que l’on est populaire, influent, à défaut d’amical ? Plutôt les deux. Bien sûr, les relations humaines sont faites d’émotions et de sentiments : on « apprécie » quelqu’un, ses textes, on « aime » regarder son profil et lire ses textes. Alors la question sonne creux. Mais elle sonne. Et c’est cette interrogation soulevée grâce à l’affichage du nombre d’amis/ followers qui intéresse la prof de français que je suis. Enfin on s’interroge sur cette fichue situation d’énonciation qu’on s’évertue à expliquer, et dont on cherche sans cesse de montrer qu’elle est essentielle, existentielle !

On pensait que la question se posait moins, ou pas, sur Twitter, puisqu’il y est question de « follower » ou d’abonné. Mais la discussion est récurrente ici aussi sur le sens à donner aux abonnements et désabonnements que l’on y effectue. On va s’abonner à un compte pour différentes raisons : parce qu’on aime lire la personne, parce qu’on l’aime bien, parce que ses tweets sont précieux (professionnellement pour de la veille par exemple), parce qu’on veut voir ce que peut « tweeter » un médecin ou un agriculteur… Plus aigüe est la question du désabonnement (qui, me semble-t-il, intervient plus sur Twitter que sur Facebook, ce qui montre une différence de relation) : parfois, on n’ose pas se désabonner pour ne pas vexer la personne, ou bien au contraire on se désabonne d’elle pour montrer sa désapprobation. Surtout, le système des listes sur Twitter permet de suivre les tweets de comptes auxquels on n’a donc pas besoin de s’abonner (je me couperais la main plutôt que m’abonner à certaine mais je trouve important de lire ce que cette personne peut tweeter).

Ainsi, se poser cette question pourrait être une bonne petite activité d’éducation aux médias me semble-t-il. Par exemple, que penser des 15 000 puis, aujourd’hui, des 22 000 abonnés de Nadine Morano ? Qui peut bien la suivre, elle qui se présente comme la « Déléguée générale UMP en charge des élections. » ? Est-ce qu’on la suit :

– par affinité ?

– par affinité politique ?

– pour avoir des infos sur les élections ?

– par devoir professionnel ?

– pour sourire de ses tweets ?

– pour é-cla-ter de rire à ses tweets (que, surtout, on ne lit qu’en Re-tweet ou en « recherche » – ami lecteur, ose avouer que tu as lu au moins un de ses tweets, hein ?)

– parce qu’elle fait le buzz ?

– pourquoi pourquoi pourquoi ?

En examinant la liste de ses abonnés (au 6 janvier 2012 à 08h43), ce qui me frappe, c’est le nombre de nouveaux comptes (on les reconnaît car ils sont encore à l’état d’oeuf par leur avatar) qu’on soupçonne de s’être inscrits à Twitter pour s’inscrire au compte de N. Morano. Voilà qui vient renforcer mon questionnement-étonnement. Ainsi, pour ces personnes, s’abonner à @Nadine__Morano est un vrai acte politique, révolutionnaire presque, à lire certains tweets ! Je n’écris cela nullement en sociologue, ou analyste politique (et pour cause !), mais de façon naïve parce que j’aime bien ce sentiment d’assister à quelque chose d’un peu nouveau. On a pu lire que Barack Obama avait, en partie, gagné les élections sur Twitter, comme on avait pu se demander quel avait été le rôle des Guignols dans la réélection de Chirac.

Est-ce que si je suis* N. Morano, je montre un choix politique ? Est-ce qu’au contraire, je montre toute l’ironie dont je suis capable à mes autres « followers » qui me connaissent, et qui savent, eux ? Surtout, ce compte semble cristalliser les débats entre partisans d’un vote à gauche et anti-UMP et ceux qui soutiennent (ils le lui disent dans leurs tweets) l’action du gouvernement. Ainsi, nous construisons tous notre identité numérique politique et philosophique par un simple clic « s’abonner »/ «  »se désabonner » ? Un clic et tout est dit. Un peu simple (/iste).

Ce qui est sûr, c’est que tant que je jouirai de ma liberté pédagogique, dont le récent discours de Monsieur le Président de la République me laisse à penser qu’elle vit ses derniers instants, jamais, au grand jamais, je ne poserai cette question à mes élèves. Restons sérieux.

*suis : verbe suivre !

——

Je me suis interrompue pour aller chercher le journal (version papier) : à la Une de Libé, cette phrase : « Nadine Morano persiste, signe et tweete. » D’accord, je participe au buzz qu’elle organise. Surtout, cette petite phrase se trouve sous le gros titre : « Mort des deux Français au Niger. Les aveux d’un terroriste. » Soudain, le silence me recouvre. Tous ces mots idiots, méchants, rieurs, moqueurs, pseudo-réflexifs, qui se cognent à la réalité proférée en d’autres termes, d’autres voies, d’autres lieux. Si ma première réaction fut d’avoir honte (honte d’être là, sur ce billet, à brasser du vent et du brouillard), à présent je crois que, oui, il faut continuer à tweeter, à parlementer, à s’insurger et s’indigner, n’importe comment. Continuer à é-cla-ter de rire, éclat de rire et éclat d’obus explosent dans le ciel, conjointement, et je n’y peux rien. Puisqu’il faut bien vivre, bon sang – vous croyez que je peux tweeter cette dernière phrase ? 😉

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7 commentaires pour De quoi le follower est-il le nom ?

  1. Patty O'Green dit :

    Très intéressante réflexion!

  2. Patty O'Green dit :

    J’y pense…Vous n’avez malheureusement pas ajouter le « bouton » Twitter à vos billets pour qu’on puisse les twitter!! 😉

  3. çateregardepas dit :

    c’est simple moi je suis venu sur twitter suite à Besson et j’ai tapé Besson pour voir xomment ça marche par pure curiosité et ensuite Nadine m ! je la suis pour lire ses posts et je suis anti UMPS ! donc je te rassure beaucoup suivent une personne pour lui rentrer dans le l’air ! donc pour moi plus de 50% des suivistes sont des anti-suivi ! s’est simple regarde et suis tous les suiveurs de Nadine et regarde leurs posts ! bcp sont virulents moi je suis n’importe qui de droite comme de gauche car je déteste les politicards

  4. je lis ton post comme une manière de tordre le cou à l’adage le plus exaspérant et le plus faux qui soit selon moi : « dis-moi ce que tu… et je te dirai qui tu es » – l’idée qu’on puisse dresser le « profil » de quelqu’un en examinant ses followers ou ses followés repose sur une causalité qui me semble imaginaire – l’idée même qu’on puisse à quelqu’un qui il est, d’ailleurs, me semble tout bonnement inacceptable – j’aimerais réflchir à cette notion d’identité numérique, et montrer qu’elle n’est souvent, ou partiellement, comme celle « non-numérique », que le produit de l’imaginaire des autres…

  5. Moi je suis à la fois @Drmlj et @nadine__morano . L’une pour m’apporter des réflexions professionnelles, l’autre pour m’amuser. (je vous laisse trouver quel compte correspond à quel objectif)

  6. sarailune dit :

    pensée parfaitement bien développée, et post très intéressant….l’ambiguité du net dans toute sa splendeur. Ecouter ou lire n’est pas adhérer, même si ça peut s’en rapprocher 🙂

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